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prochent des autres espèces, ceux qui constituent son originalité.

N’est-ce pas là peut-être ce que l’on oublie, lorsqu’on transpose au monde humain les lois du combat animal, et lorsqu’on les impose aux hommes, en conséquence, comme « aussi bonnes qu’inéluctables[1] » ? Les hommes lutteront sans doute comme tous les autres vivants. Mais peut-être les moyens et les mobiles propres à l’action humaine exerceront-ils, sur les formes et les effets de la lutte même, quelque influence inattendue ? C’est pourquoi il n’est pas inutile, avant de se prononcer sur l’autorité du darwinisme social, de rappeler brièvement les conditions humaines de la lutte pour la vie.

I

Les poètes l’ont souvent rappelé : l’enfant des hommes naît le plus démuni et le plus désarmé de tous les animaux. Mais il faut ajouter que l’humanité tient pour lui en réserve plus d’armes et plus de munitions que n’en possèdera jamais aucun animal. L’accumulation des choses ouvragées, des objets façonnés à son idée et ajustés à ses besoins, voilà la première originalité de l’espèce humaine. Qu’on essaie seulement de se représenter le nombre des meubles et des ustensiles de toutes sortes que s’annexe un ménage de nos jours, même modeste ! Et sans doute la qualité des choses ainsi utilisées varie grandement avec les civilisations. Il reste que les moins civilisés savent d’ordinaire se construire un abri, se tailler un vêtement, dompter des bêtes et cultiver le sol, et que les transformations qu’ils font subir ainsi à leur milieu sont plus étendues et plus profondes que celles dont sont capa-

  1. Ce sont les épithètes appliquées par M. Leroy-Beaulieu aux « lois » économiques.