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L’anatomie semble confirmer cette hypothèse par la comparaison des cerveaux. Si la lutte développait toutes les qualités, les cerveaux les mieux organisés devraient appartenir aux plus grands lutteurs. Tout au contraire, ils se rencontrent plutôt chez les espèces sociables. Les passereaux sont supérieurs en ce point aux accipitres, et les herbivores aux grands félins. Bien loin que l’association ait entraîné une sorte d’arrêt de développement dans l’organisation cérébrale, il semble qu’en stimulant la vie représentative, en multipliant les unes par les autres les impressions des individus rassemblés, elle ait perfectionné chez eux l’appareil de la coordination[1].

En un mot, toutes sortes de progrès, et ceux-là précisément qui rapprochent le plus les animaux de l’homme, dérivent, non de la lutte, mais de l’association pour la vie. Au lieu que la fraternité ne soit qu’une utopie contrecarrée par les faits, il apparaît, dit M. Geddes[2], « que chacune des grandes étapes du progrès correspond à une subordination plus étroite de la concurrence individuelle à des fins reproductrices ou sociales, et de la concurrence intraspécifique à l’association coopérative ». L’expérience a montré que les plus aptes à franchir les pas les plus difficiles étaient moins « ceux qui pratiquent la concurrence vitale avec le plus d’ardeur » que « ceux qui ont su y apporter le plus de ménagements ». La sociabilité s’est révélée comme un gage, non seulement de bien-être matériel, mais de progrès spirituel. Il est donc faux de dire que l’altruisme n’est que folie et que la vie n’est que meurtre. Aux diverses formes de lutte, diverses formes d’association peuvent s’opposer. Aussi bien que les êtres d’espèces différentes, les êtres de même espèce peuvent s’élever en s’entr’aidant.

  1. Richard, Évol., p. 92-94 (Paris, F. Alcan).
  2. Évol. du sexe, p. 432, 440.