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D’autres fois, les réunions d’animaux ne semblent répondre à aucun besoin spécial, sinon au désir qu’ils éprouveraient de se sentir vivre ensemble, et de multiplier leurs impressions en se les communiquant. Ce sont des réunions « pour le plaisir », comme celles qui rassemblent à l’automne les jeunes oiseaux, ardents au jeu. Mais ces jeux ont sans doute une utilité inaperçue. Leurs exercices variés et combinés ne développent pas seulement la force et l’agilité des individus, ils les habituent à agir de concert, ils élargissent en chacun d’eux la « conscience de l’espèce », ils les préparent à une vie commune étendue et prolongée.

Et, en effet, il n’est pas rare, comme on sait, que nombre d’animaux s’associent pour la vie et forment de véritables peuplades. Les carnassiers solitaires ne sont que le petit nombre. Les groupes affectent sans doute les formes les plus diverses, depuis les monarchies constitutionnelles d’abeilles jusqu’aux hordes de chiens ; les relations des membres du groupe sont plus ou moins compliquées, l’organisation est plus ou moins parfaite. Mais, du moins, dans la plupart des espèces, y a-t-il un rudiment d’organisation sociale et, par suite, une extension de l’assistance mutuelle. Il n’est donc pas vrai que la solidarité dans la nature se réduise au cercle étroit de la famille. La nature n’utilise pas seulement par exception et pour le salut des générations futures, mais en règle générale et pour le bien des générations déjà développées, les forces protectrices de l’association[1].

  1. Entre cette organisation proprement sociale et l’organisation familiale quels sont au juste les rapports et comment les animaux passent-ils de l’une à l’autre ? La question est sujette à discussion (V. Espinas, op. cit., p. 106. Lanessan, op. cit., p. 53. Houssay, Revue philos., 1893, p. 486). Pour que puisse se former un groupe plus large, il importe que le cercle familial ait perdu de sa rigidité, et que les sentiments de jalousie, d’ordinaire surexcités par la reproduction, aient perdu de leur intensité. D’autre part, la famille reste la première école de la fraternité et de la subordination. Les animaux qui se groupent ne font que prolonger, élargir, étendre au dehors des habitudes qu’ils ont contractées dans l’in-