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physique, paraît souvent supposer l’union des consciences dans une représentation commune. Il n’est pas rare que cette sympathie dure longtemps après l’acte qui l’a préparée. Le mâle protège et nourrit la femelle pendant qu’elle couve. Plus tard, il prend part à l’éducation des petits. Un certain nombre d’habitudes naissent de la sorte, autour du nid, faites pour enrayer l’action aveugle et brutale de la sélection naturelle[1]. Par les soins dont ils l’entourent, les parents font tout ce qu’ils peuvent pour soustraire l’être nu et désarmé à l’élimination. C’est le plus faible qui est ici le plus protégé. La loi de la pitié se dresse contre la loi de la lutte.

On fera peut-être observer que l’association familiale a passé de tout temps pour un enclos privilégié. Mais une fois que l’être en est sorti, adulte et armé de toutes ses forces, trouvera-t-il encore aide et protection auprès de ses semblables ? L’histoire des Sociétés animales a dès longtemps répondu par l’affirmative[2]. Elle nous a montré au-dessus des agglomérations involontaires — comme les paquets de chenilles ou certaines bandes de poissons — des rassemblements voulus et comme prémédités. Des êtres d’ordinaire séparés réunissent leurs efforts en vue d’un intérêt commun. Les vautours, les milans, les aigles même forment parfois des sociétés de chasse comme les pélicans des sociétés de pêche. Les nécrophores se coalisent pour enterrer le cadavre où ils doivent cacher leurs œufs. Kropotkine vit des crabes, à l’aquarium de Brighton, organiser leurs efforts pendant des heures pour aider l’un d’entre eux, pris dans une encoignure, à se retourner. Qu’est-ce, d’ailleurs, que les attroupements des oiseaux migrateurs, sinon des ligues utilitaires momentanées, qui se renouent périodiquement au moment où le besoin s’en fait sentir ?

  1. Espinas, op. cit., p. 280-290. Kropotkine, op. cit., p. 19. Topinard, op. cit., p. 63-92.
  2. Espinas, op. cit., chap. V. Kropotkine, p. 10, 23, 40.