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l’ermite promène les actinies qui ont élu domicile sur sa carapace, et elles se nourrissent du relief de ses repas ; à son tour, elles le défendent, en abattant leurs filaments, contre l’attaque des poulpes ; les deux alliés ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. Certaines algues et certains champignons vivent si étroitement unis qu’on n’a pu les distinguer que récemment. Qu’on examine la structure du lichen : on y découvre, dit M. Vuillemin[1], les éléments de deux êtres enchevêtrés en un mélange si intime que « nous ne savons plus au juste lequel des deux mérite le mieux le titre d’hôte ou celui de parasite. Chacun des membres de cette combinaison biologique a perdu ses attributs propres, autant que les atomes constitutifs d’une molécule. Et c’est en associant leurs misères que ces deux chétifs organismes, dont l’un redoutait la sécheresse autant que l’autre craignait la lumière, ont audacieusement conquis à la vie les éléments les plus arides du milieu inerte ». L’Hydra viridis donne un exemple analogue d’union intime et presque de fusion entre un animal et un végétal, une hydre et une algue. De telles « symbioses » prouvent à quel point peuvent s’accorder les intérêts d’organismes différents ; ils en arrivent par leur association à composer un véritable organisme nouveau.

Mais, dira-t-on, dans tous ces exemples il s’agit d’espèces différentes les unes des autres ; et leur diversité même explique qu’elles puissent s’accorder. Entre vivants qui n’ont ni les mêmes besoins ni les mêmes facultés le travail se divise naturellement, l’harmonie s’établit sans difficulté. En sera-t-il encore ainsi, quand les représentants d’une même espèce se trouveront en présence ? De même que la diversité amène facilement la collaboration, la similitude n’entraîne-t-elle pas fatalement la compétition ? Les frères, dans l’ordre de la nature, ne sont-ils pas des ennemis-nés ?

  1. Op. cit., p. 18.