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se substitue à la haine comme mobile des relations des êtres. »

Il est clair que, dans nombre de cas, une pareille substitution de traduction reste impossible. Lorsque par exemple une espèce se nourrit de la substance d’une autre espèce, l’opposition des intérêts est manifeste, et l’on ne saurait sans ironie transformer cette dépendance en alliance. Toutefois, ici même l’opposition n’est pas irréductible. On peut remarquer que les espèces qui servent d’aliments à d’autres y trouvent parfois certains avantages inattendus. Il arrive qu’elles soient entretenues par celui même qui s’en nourrit. Si les pacifiques herbivores, observe M. Houssay[1], sont plus prospères que les carnassiers et se multiplient par milliers, c’est que l’homme a pris la direction de leurs troupeaux : ils ont gagné à lui servir. Dans d’autres cas, ne peut-on même soutenir ce paradoxe, que « certains êtres trouvent un profil personnel à être mangés[2] » ? C’est ainsi que la bactéridie charbonneuse, enfouie avec les cadavres de ses victimes, en retrouve de nouvelles, grâce à l’entremise des vers qui l’absorbent et la ramènent à la surface des champs. De même, il y a des spores de champignons incapables de germer tant que leur membrane n’a pas été ramollie, digérée par l’estomac des herbivores. L’absorption se trouve donc quelquefois utile à l’absorbé.

Mais, de plus et surtout, l’absorption n’est pas la règle unique : bien souvent, l’être se contente d’en exploiter un autre, qu’il se subordonne sans le faire disparaître[3]. Et sans doute, le plus souvent, cette exploitation n’est pas sans entraîner un dépérissement de l’exploité : on le note avec raison parmi les fâcheux effets du parasitisme. Mais il faut savoir qu’il présente parfois des effets précieux pour celui-là même dont la substance ou la force est utilisée. Les insectes

  1. Revue philos., 1893, I, p. 473.
  2. Vuillemin, op. cit., p. 12.
  3. Novicow, Luttes entre sociétés, p. 23.