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IV

Il faut aller plus loin. Sur certains points il est possible, non plus seulement de compléter ou de rectifier, mais de

    naturelle : il semble aussi qu’elles promettent une plus large place à ces interventions de la conscience dont la sélection sexuelle nous a donné le premier exemple. On pourrait dire encore qu’en ce point les idées lamarckiennes semblent regagner sur les idées darwiniennes ; non que le principe de l’hérédité des caractères acquis ait recouvré son ancienne domination, mais du moins tend-on à expliquer plus de choses par les habitudes, par les « forces adaptives », par les efforts plus ou moins conscients des individus. Le défenseur le plus hardi du néo-lamarckisme, Cope, ne craignait pas d’attribuer à l’action de forces psychiques cette « origine des plus aptes » dont la sélection ne pourrait jamais, suivant lui, expliquer que la survivance. La conscience, dans son système, semble redevenir antérieure à tout le reste : c’est « l’archœsthétisme* ». Sans aller jusque-là, et sans placer la conscience à l’origine de l’évolution, toute une école reconnaît aujourd’hui, dans l’activité propre des individus, une des forces qui orientent en nombre de cas les transformations des espèces.

    C’est ainsi que les partisans de la sélection « organique » ou « subjective** » cherchent dans l’organisme lui-même, et dans sa façon d’appliquer les ressources dont il dispose, une nouvelle explication de sa destinée. Ainsi pensent-ils, sans faire appel à l’hérédité des qualités acquises, rendre compte de la survivance des petites variations utiles. Elles sont le plus souvent trop faibles, disions-nous, pour que la sélection les retienne ? Mais imaginons que des individus chez qui elles se sont produites soient doués en même temps d’une certaine plasticité, qu’ils soient capables de distribuer adroitement leurs forces suivant la demande des circonstances et de développer par un exercice approprié celles de leurs facultés qui sont avantageuses, ces individus échapperont mieux que d’autres aux difficultés inattendues ; et ainsi, grâce à l’activité qu’ils auront su déployer durant leur vie, les caractères qu’ils apportaient en naissant auront plus de chances d’être sauvés, d’être reproduits et développés de génération en génération. Qu’un oiseau naisse avec les pattes un peu plus longues et le cou un peu plus flexible : cela ne saurait lui constituer un avantage bien marquant. Mais qu’il sache développer ces caractères par l’exercice, les mettre en valeur par le milieu et le genre de vie qu’il choisira, qu’il devienne, par exemple, pêcheur au bord des marais, alors ses chances deviennent plus sérieuses de survivre et de perpétuer son type.