Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bataille incessante, condition du progrès universel. Les faibles y sont éliminés sans pitié, car il importe que les forts seuls survivent et que l’hérédité, toujours prête à consolider l’acquis en inné, ne perpétue que les caractères avantageux. Ainsi s’explique la lente ascension des formes de l’être, qui va de la masse protoplasmique des protozoaires à l’organisme compliqué des vertébrés, de l’homogène à l’hétérogène, de l’amorphe au différencié. Tels sont, en bref, les principaux enseignements que la biologie répète à qui veut les entendre. Différenciation des organes, hérédité des caractères, concurrence des êtres, en ces trois formules semble tenir, suivant elle, le secret du progrès du monde.

« Différenciation », « hérédité », « concurrence », est-ce que ces mots ne doivent pas sonner étrangement, pour des oreilles habituées au retentissement des idées égalitaires ? Entre ces formules naturalistes et les formules démocratiques, ne perçoit-on pas certaines discordances fâcheuses ? On dit que la démocratie contemporaine, inclinant de plus en plus vers le socialisme, travaille à enrayer, ou tout au moins à atténuer la libre concurrence universelle. On dit que, dans son effort pour effacer toute survivance du régime des castes, elle refuse de tenir aucun compte de la puissance de l’hérédité. On dit encore que par sa tendance au nivellement, tombant dans « l’erreur amorphiste », elle répugne à toute institution qui conserve, dans les sociétés, une différenciation quelconque. S’il en était ainsi, il y aurait donc, entre les tendances de la démocratie et celles de la nature, un antagonisme essentiel !

Il n’en faudrait pas douter en effet, si l’on en croyait bon nombre de ceux-là mêmes qui collaborent à la construction des sciences naturelles. Ils ne se détournent de leur travail que pour laisser tomber sur le tumulte égalitaire les aphorismes les plus dédaigneux.

On se souvient de la proclamation retentissante de Hæ-