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traire, par l’action des variations individuelles données dès la naissance et triées par la lutte. En étendant ce concept de lutte non plus seulement aux rapports des organismes entre eux, mais aux rapports des parties et même des germes de l’organisme, on se faisait fort d’éclairer tous les apparents caprices de l’évolution. Le principe de Darwin prenait ainsi le premier rôle, au détriment des principes de Lamarck.

Mais le reflux ne s’est pas fait attendre. La critique s’est exercée sur l’idée même de sélection, et les objections se sont multipliées. On a observé que la sélection naturelle n’agit pas, ne saurait agir seule, et que nombre de forces collaborent avec elle pour lui permettre d’être efficace, ou pour la rendre moins nécessaire. « Une grande obscurité, disait Cope, est née de cette croyance que la sélection naturelle peut créer quelque chose. » Elle ne peut jamais que conserver des variations antérieurement données. Son action est donc négative plutôt que positive, limitative plutôt que productive. Il faut la classer, dira M. Giard, parmi les facteurs secondaires, non parmi les facteurs primaires de l’évolution[1].

Et, en effet, on se rend compte que l’action spécifiante et améliorante de la sélection reste, dans le système de Danvin, malaisée à concevoir. Suffit-il, pour qu’elle opère, que sur le champ des petites variations insensibles ou indéterminées, produites dans tous les sens par les hasards de la naissances, passe le vent des forces aveugles de la nature ? On nous assure qu’elles sauront choisir, éliminer les mauvais germes et retenir les bons.

N’est-il pas à craindre bien plutôt qu’elles n’éliminent sans distinction et par grandes masses toutes sortes de germes bons ou mauvais ? En fait, c’est surtout dans le jeune âge, et avant qu’ils aient pu développer leurs puissances diverses que

  1. Cf. Cope, Fittest, p. 15, 174. Thomson, art. cité, p. 23. Giard, art. cité, p. 646. Cuénot, art. cité, p. 267.