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Par où l’on voit à nouveau combien il est imprudent d’identifier, sans plus de discussion, l’évolution avec le perfectionnement[1]. Qui dit successeur ne dit pas forcément supérieur. Des caractères universellement classés comme des imperfections peuvent, dans certains cas, assurer un avantage aux êtres qui les possèdent. Le « jugement du combat » est loin de coïncider toujours avec le jugement de l’esprit. Ou bien donc il faut renoncer à donner des rangs, et en revenir à l’idée de Cuvier, qui voulait que toutes les espèces fussent également parfaites en leur genre ; ou bien, si nous voulons continuer à parler de progrès, il faut convenir que le succès dans la lutte pour la vie n’en saurait être le criterium unique, et que les transformations provoquées par la concurrence ne sont pas toutes également heureuses.

Mais, dira-t-on, la concurrence ne reste-t-elle pas nécessaire pour provoquer toute transformation, quelle qu’elle soit, des espèces vivantes ? Elle peut tâtonner, s’égarer, lancer les races sur d’autres pistes que celle du progrès. Mais du moins doit-elle être présenté pour modifier la forme des êtres. Ainsi, directeur faillible, elle resterait le moteur indispensable de l’évolution.

Pour résoudre cette question, c’est tout le mouvement des sciences naturelles dans ces dernières années, ce sont toutes les phases de la lutte entre néo-darwiniens et néo-lamarckiens qu’il faudrait retracer. D’une manière générale, on sait que les néo-darwiniens, plus intransigeants que Darwin, ont prétendu faire de la sélection naturelle le principe unique de la transformation des espèces. Nous avons vu que, d’après Weismann, rien ne saurait s’expliquer par l’action des habitudes individuelles acquises sous l’influence du milieu et transmises par l’hérédité : tout s’explique aisément, au con-

  1. V. Huxley, L’Évol., p. 81.