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III

En quel sens, la biologie devait-elle, après Darwin, développer les germes inclus dans ses deux théories ? Continuera-t-elle d’affirmer que le progrès est indissolublement lié à la lutte pour l’existence ?

Beaucoup d’adeptes, plus ou moins informés, de l’évolutionnisme sont naturellement portés à identifier l’évolution avec le perfectionnement ; ils croient volontiers que toutes les transformations des espèces sont en définitive autant d’améliorations. Un premier contact avec la théorie darwinienne ne peut que renforcer cette croyance. Comment, en effet, la sélection naturelle n’améliorerait-elle pas les races ? Que la sélection artificielle, dirigée par l’intérêt ou le caprice de l’homme, puisse entretenir des malformations, donner une prime à des variétés moins capables que d’autres de s’alimenter ou de se défendre elles-mêmes, on le conçoit. C’est ainsi que les jambes incurvées du mouton ancon, qui a l’état libre lui eussent créé une infériorité certaine, devinrent, aux yeux des éleveurs du Massachusetts, un caractère digne d’être propagé, parce qu’il empêchait les animaux de franchir les barrières de leurs enclos[1]. Mais il n’y a pas de place dans la nature pour ces déviations calculées. La sélection naturelle ne saurait travailler que dans l’intérêt des êtres, puisqu’elle ne retient que les caractères qui leur sont avantageux. Elle ne laisse passer que les plus aptes. Il semble donc qu’elle doive, à chaque génération, raffiner les types, et que, contrairement à l’opinion de Cuvier, les espèces, au fur et à mesure qu’elles se constituent, se trouvent fatalement de plus en plus parfaites.

  1. Huxley, L’Évolution, p. 23.