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sur ses animaux domestiques. Et il ajoute cette observation importante : « L’admission du principe de la sélection sexuelle conduit à la conclusion remarquable que le système cérébral règle non seulement la plupart des fonctions actuelles du corps, mais a indirectement influencé (par le choix des qualités esthétiques) le développement progressif de diverses conformations corporelles et de certaines qualités mentales[1]. » En d’autres termes, l’évolution apparaît ici subordonnée à l’intervention de certaines facultés de l’esprit.

Nous avons donc le droit de conclure que sur l’abîme creusé par la théorie de la sélection naturelle entre l’esprit et la nature, la théorie de la sélection sexuelle jette un pont. Elle réintègre, en ce sens, de l’idéalisme au sein de l’évolutionnisme ; elle replace la conscience dans le mouvement du monde, non plus en prêtant à la nature des visées arbitraires, ni même aux êtres des efforts inutiles, mais en démontrant leurs choix nécessaires : leur attitude réciproque ne saurait s’expliquer sans une dose aussi petite qu’on voudra de jugement et de sentiment, d’intelligence et de sympathie. Et nous n’apercevons là sans doute que les formes embryonnaires de l’une et de l’autre. Mais déjà le couvercle de plomb qu’on faisait peser sur nous en est allégé. Si la théorie de la sélection naturelle nous laissait en présence d’un monde terne et rude, mû par des forces toutes brutales et mécaniques, la théorie de la sélection sexuelle nous introduit dans un monde plus brillant et plus doux, où l’ascension des formes ne résulte plus seulement de poussées, mais d’attractions, où la finalité recommence à régner, où par suite de larges perspectives s’ouvrent aux efforts de la vie spirituelle. Sans sortir du système de Darwin, nous avons donc déjà gagné quelque chose sur ce pessimisme darwinien déployé devant nous.

  1. Ibid., p. 437.