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Plus ou moins clairement formulé, ce même espoir anime aujourd’hui encore beaucoup d’esprits. Il leur semble qu’après les immenses travaux d’approche du xixe siècle, l’heure a enfin sonné où l’on va consulter systématiquement l’expérience universelle et vraiment « laisser parler les faits ». On n’imaginera plus la nature du dedans, mais on l’observera du dehors. On aboutira à l’humanité, mais par une sorte de mouvement tournant, après avoir traversé toute la série animale, et amassé chemin faisant un nombre imposant d’observations objectives. Telle est la figure de la science à laquelle pensent la plupart de ceux qui invoquent aujourd’hui une morale scientifique. C’est des conceptions biologiques appliquées aux sociétés humaines qu’ils attendent la démonstration décisive que l’histoire des idées directrices de notre civilisation ne pouvait nous livrer à elle seule, et qui doit nous permettre d’opter, en connaissance de cause, pour ou contre la démocratie.

Il n’est pas douteux que, dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains, la confiance dans la science ainsi comprise ne coexiste avec l’enthousiasme démocratique. Ce sont souvent les mêmes hérauts qui vantent, dans les journaux « avancés », la morale scientifique et l’idéal égalitaire. Ils paraissent convaincus a priori que celle-là ne saurait faire autrement que de démontrer, de la manière la plus positive, le bien fondé de celui-ci.

Toutefois, cet optimisme peut-il longtemps se soutenir ? Et pour peu qu’on ait la moindre connaissance des concepts élaborés par la biologie, ne sera-t-on pas frappé de la distance qui les sépare des postulats acceptés par la démocratie ? La nature est un champ de bataille, le champ immense d’une