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Wallace[1], qui ne partageait pas sur ce point l’opinion de son émule, pense rendre compte de la splendeur du sexe fort en observant que le sexe faible, moins agile et d’ordinaire plus exposé, surtout pendant l’incubation, a tout avantage à rester terne, ce qui lui permet de se dissimuler plus facilement aux ennemis. Mais si ce raisonnement montre pourquoi il est possible aux mâles de revêtir une parure plus brillante, il ne découvre pas quel avantage peut déterminer la sélection à enrichir cette parure ; il énonce la condition négative, non la cause positive de ces spécialisations. Dira-t-on qu’il la faut chercher moins dans un avantage quelconque que dans les effets indirects et inévitables, et comme dans le retentissement naturel du sexe sur tout l’organisme ? Le sexe mâle a plus de vitalité, il dépense davantage, il est, disent MM. Geddes et Thomson[2], plus « catabolique ». En vertu des lois de la corrélation, sa supériorité d’énergie développe dans ses divers organes une circulation plus active et se traduit, automatiquement, par des couleurs plus voyantes. Mais ce raisonnement, s’il explique que l’organisme du mâle dispose en effet de plus de ressources, explique-t-il pourquoi il les dispose harmonieusement, et de manière à produire une impression de beauté[3] ? S’il explique le cri, explique-t-il la mélodie ? s’il explique l’apparition des couleurs, explique-t-il leur distribution esthétique ?

Ajoutons que les circonstances dans lesquelles les beautés propres aux mâles apparaissent ou sont mises en valeur semblent bien prouver qu’elles sont utiles et utilisées en vue de l’amour. N’est-ce pas d’ordinaire à l’âge adulte et précisément à la saison des amours que les beautés du mâle se montrent ? Ainsi le labre ne revêt sa livrée brillante, rayée de rouge et d’azur, qu’au moment où il commence à

  1. Sélection, p. 115.
  2. L’Évolution du sexe, p. 30.
  3. Romanes, Darwin, I, p. 394.