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sélection naturelle, mais celui de la sélection sexuelle. À quoi répond cette nouvelle théorie ?

On peut dire qu’elle répond au besoin d’expliquer la beauté du monde vivant, — les couleurs somptueuses, les sons harmonieux, toutes les grâces et tous les ornements que la nature prodigue à ses créations.

Luxe incompréhensible, semble-t-il au premier abord, pour la théorie darwinienne[1]. N’est-elle pas un utilitarisme radical, appliqué à la nature ? Suivant l’idée maîtresse de cette théorie, seuls sont retenus les caractères avantageux. Si certaines formes survivent de préférence à d’autres, c’est qu’elles assurent, à qui les possède, la faculté d’atteindre plus aisément la nourriture, ou de supporter plus longtemps le froid, ou d’éviter plus rapidement l’ennemi. Leur utilité garantit leur succès. Mais pourquoi et comment une forme inutile, si belle qu’elle soit, serait-elle préférée par la sélection ? Or imaginons que la beauté de certains êtres, les couleurs dont ils sont revêtus, les sons qu’ils peuvent émettre leur facilitent, d’une façon ou d’une autre, l’opération de la reproduction. Ils auront donc plus de chance que leurs rivaux moins brillants de perpétuer leur type. Est-il étonnant dès lors que progressivement la race s’embellisse ? Il est naturel que la sélection retienne et développe des formes charmantes s’il est vrai qu’une prime leur est donnée, qu’une avance leur est assurée pour la reproduction. C’est cette utilité spéciale qui expliquera la survie de la beautés.

L’hypothèse se vérifie dès le monde végétal. On sait que les couleurs et les formes des fleurs ne sont pas sans influer sur leur destinée. La fécondation croisée leur est très utile, sinon nécessaire. Or dans la plupart des cas, le croisement resterait problématique s’il ne fallait compter, pour trans-

  1. Cournot insiste sur cette objection : Matérialisme, Vitalisme, Rationalisme, p. 161.