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condition irrémissible du progrès universel, l’instrument unique des choix de la nature[1].

Mais cet instrument peut affecter diverses formes. Il y a plusieurs manière de lutter, et il n’est pas inutile de les distinguer soigneusement : elles ne mettent pas en jeu les mêmes mécanismes ; elles ne produiront pas les mêmes effets sur le sentiment humain.

Tantôt une espèce se nourrit d’une autre, et tend par conséquent, pour survivre, à la faire disparaître. La gazelle mange l’herbe, et le tigre la gazelle. Le passereau mange l’insecte, et le vautour le passereau. C’est sous cette forme qu’on se représente d’ordinaire la lutte pour l’existence. C’en est la forme la plus dramatique : elle met les êtres aux prises, s’efforçant l’un contre l’autre.

Mais les formes indirectes de la lutte sont peut-être plus répandues. Il arrive plus souvent que, sans se nourrir de la chair du plus faible, le plus fort se nourrisse à ses dépens : il accapare l’aliment ou en prend la meilleure partie. C’est ainsi que les moins agiles des gazelles ou les girafes qui ont le cou le moins long se sustenteront moins aisément et, en temps de disette, périront les premières. Ce ne sont plus seulement, alors, des membres d’espèces différentes qui se trouvent en conflit, mais encore et surtout des membres de la même espèce. On pourrait dire que cette lutte indirecte est d’autant plus vive que les concurrents sont plus prochains ; car c’est alors qu’ils ont les mêmes besoins et prétendent au même aliment. À vrai dire, ils ne s’efforcent pas directement les uns contre les autres. Le faible n’est plus condamné à une mort rapide et violente, mais seulement à une vie plus précaire.

Dans d’autres cas la lutte est encore moins directe et moins active. Les branches de gui attendent pour se reproduire la

  1. V. l’introd., 2e partie, p. 26-30.