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CHAPITRE I

LA LIMITATION DU DARWINISME

Il semble au premier abord que le darwinisme nous accule à un pessimisme radical. Les plus fidèles disciples de Darwin nous répètent ces dures vérités, que la voie du mieux est sanglante, que le perfectionnement ne s’obtient qu’au prix de la souffrance[1], qu’enfin la nature entière est comme un cirque immense où tous les êtres seraient gladiateurs[2]. Amplifiées et dramatisées par la littérature, ce sont ces idées qui circulent dans l’opinion, rendant plus durs les cœurs durs et plus tristes les cœurs tendres, accoutumant beaucoup des uns et des autres à ce sentiment, que contre les douleurs issues de la lutte pour l’existence, « il n’y a rien à faire ».

Mais est-il vrai que les sciences naturelles nous imposent, en définitive, une conception de la vie aussi tragique ? — Relisons pour en juger les écrits des naturalistes eux-mêmes : demandons à Darwin et à ses successeurs ce que signifiait au début, ce que vaut aujourd’hui la théorie de la lutte pour l’existence.

I

Nous avons reconnu que dans le système de Darwin le struggle for life apparaît comme inévitable et indispensable : il est la conséquence logique de l’accroissement des êtres, la

  1. Romanes, Darwin and after Darwin, I, p. 415.
  2. Huxley, Evol. and Ethics, p. 200.