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lutte pour l’existence, et démontré par les faits qu’elle est la condition de tout progrès.

Et ainsi retrouvons-nous, semble-t-il, sur ce nouveau terrain, l’antagonisme plus tranché que jamais entre les « réalités objectives » telles que la biologie les constate, et nos « aspirations subjectives » telles qu’elles s’expriment dans l’égalitarisme. Ne voit-on pas, à mesure que celui-ci prend plus d’empire, la démocratie s’attaquer aux inégalités économiques elles-mêmes, et faire effort, sous prétexte d’humanité, pour circonscrire, atténuer, enrayer de mille façons la libre concurrence ? Interventions impuissantes et imprudentes, parce qu’elles sont antiphysiques. Les résultats les plus récents des sciences naturelles viennent confirmer et renforcer sur ce point, d’une manière inattendue, les déductions de l’ancienne économie politique. En étendant au monde humain les inférences dictées par l’impartiale observation du monde organique, on s’est aperçu que le vœu de la nature coïncidait exactement avec le vœu du libéralisme absolu : pour que le progrès continue, il faut laisser faire, laisser passer l’universelle concurrence. « La nature le veut. » Ainsi le prestige des lois de l’économie classique est-il décuplé : inéluctables, indestructibles, et en ce sens, comme disait Bastiat, vraiment providentielles, qui oserait soutenir encore qu’elles peuvent être malfaisantes ? Le naturalisme contemporain, né des recherches du xixe siècle, apporterait donc un secours précieux aux doctrines individualistes, filles de la spéculation du xviiie ; il aurait forgé pour elles, à coup de faits, sur l’enclume de la science, un bouclier nouveau et à jamais infrangible.

Regarderons-nous comme acquise et scientifiquement fondée cette condamnation du mouvement égalitaire par le « darwinisme social » ? Accorderons-nous que la démocratie en veut en effet à toutes les formes de la concurrence, et que la concurrence sous toutes ses formes est l’instrument iné-