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l’état naturel de l’homme[1] ». Un autre déplore-t-il la guerre économique qui divise et déchire nos sociétés jusque dans la paix, même réponse : c’est une loi de nature ; il n’y a qu’à s’incliner.

M. Jaurès s’écriait naguère, à propos de l’inévitable multiplication des grèves : « Nous demandons à tous ceux en qui la force de l’égoïsme ou la puissance stupéfiante de l’habitude n’a pas éteint la faculté de penser : comment jugent-ils une société qui aboutit chroniquement, normalement, à ces conflits perpétuels, à cette guerre incessante ? Comment jugent-ils une société qui porte en son sein deux classes opposées qui se déchirent et la déchirent ? Et peuvent-ils vraiment souhaiter qu’elle soit éternelle ? »

« Nous n’hésitons pas quant à nous à répondre, écrivait le Temps[2], que nous jugeons cette société conforme aux lois de la nature et de la vie…

« La grève est un mal, assurément… Mais si la grève est un mal, elle est un mal nécessaire. Elle n’est qu’une forme de cet éternel combat, âpre, pénible, douloureux, qui est la vie même et hors duquel il n’y a que le repos de la mort. L’antagonisme est partout dans la nature, entre les éléments, entre les races, entre les individus. L’amour n’est que le combat des sexes. La vie organique est une lutte, dont les cellules sont les soldats, entre les forces de nutrition et les forces de dissociation. Et cette guerre universelle, si elle est un mal par un certain côté, à cause des souffrances qu’elle engendre, elle est aussi un bien. Les efforts continuels auxquels elle contraint les peuples et les individus sont rudes, mais de ces efforts naissent la science, la richesse, la puissance, toute la civilisation en un mot. Un organisme mis à l’abri de toute lutte s’étiole. Un individu ou un peuple sous-

  1. V. par ex. un article de M. Conte à propos des Conférences sur la Paix de M. d’Estournelles de Constant, dans La Dépêche du 1er janvier 1903.
  2. 26 janvier 1901.