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nous aurons constatés, mais de l’idéal que nous aurons choisi. Si vous voulez la plus grande dignité du plus grand nombre, et que nul ne soit repoussé de la civilisation véritable, reconnaissez alors qu’il est urgent, nous dit-on, de modifier notre régime économique ; car il tend à écarter ceux qu’il asservit de toute vie spirituelle ; il tend à instaurer une nouvelle différenciation, fatale au libre épanouissement des personnalités humaines. Mais encore faut-il, pour que vous jugiez cette réforme urgente, que vous jugiez cet épanouissement désirable. Votre sévérité envers l’organisation actuelle sera le reflet de votre foi en cet idéal. Que si vous vous laissiez en effet séduire par quelque idéal oriental, et estimiez de peu d’importance que le plus grand nombre fût empêché d’exercer librement les activités qui sont le propre de l’homme, alors — un autre signe du progrès éclairant votre choix[1] — vous n’auriez pas les mêmes raisons de souscrire à nos réquisitoires. Tout dépend en définitive de la valeur que vous accordez à la vie de l’esprit.

Par où l’on voit clairement, au terme de cette analyse, quelle est l’illusion de ceux qui escomptent, pour nous départager, les enseignements de la biologie. Déjà, nous l’avons montré, elle est incapable de nous fournir un criterium objectif du progrès des organismes ; a fortiori des sociétés. Nous étions portés à louer la différenciation des organismes, parce que cette différenciation, opérant pour ainsi dire au-dessous de la personnalité humaine, nous semblait propice à l’apparition de la vie spirituelle. Nous serons portés à déplorer la différenciation des sociétés si cette différenciation, opérant pour ainsi dire au-dessus des personnalités humaines,

  1. V. p. 132.