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travail producteur, — la prolétarisation du plus grand nombre, — le dénûment, l’abaissement, la dégradation croissante et inévitable du prolétariat.

Sur tous ces points, on sait que l’observation nous inviterait à formuler des réserves[1]. — Est-il légitime, par exemple, de conclure de la concentration des entreprises à la concentration des richesses ? Là où les usines sont la propriété commune d’actionnaires nombreux, assistons-nous à cette diminution du nombre des possédants que la théorie fait prévoir ? Et puis, quels que soient les progrès indéniables des grandes exploitations, les petites ne gardent-elles pas une large place, et non seulement dans l’agriculture, mais dans l’industrie proprement dite ? Il était donc excessif de soutenir que l’immense majorité des travailleurs se concentre dans les grandes usines, pour y être asservie à des besognes purement mécaniques. Beaucoup travaillent à domicile. Beaucoup cumulent des travaux d’espèces différentes. Le travail qualifié enfin conserve sa valeur. — D’ailleurs où prend-on que le service des machines dégrade fatalement l’homme ? Bien plutôt il semble, par la culture technique générale que ce service exige, qu’il ait contribué à élever le niveau mental de la classe ouvrière. — Est-il vrai enfin que le travail, dans la grande industrie, soit de plus en plus « dévorant » ? qu’il laisse de moins en moins de loisirs et procure de moins en moins de salaire ? Il a fallu atténuer ce pessimisme quasi mystique, qui prédisait que la classe ouvrière, avant de sauver l’humanité, descendrait de plus en plus au-dessous de sa propre condition. En réalité elle relève progressivement son niveau de vie. Elle conquiert à la fois plus de salaire et plus de loisirs. — Dès lors comment se réaliserait cette simplification et cette exas-

  1. Nous résumons brièvement, dans les deux paragraphes qui suivent, les principaux arguments échangés par les adversaires et les défenseurs de la théorie socialiste classique. V. les ouvrages cités de Bernstein, Kautsky, Jaurès, Vandervelde, Millerand.