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salaire était un peu supérieur à la moyenne générale de la France (son budget était de 1 200 francs), se félicitait en ces termes du résultat obtenu : « Les dépenses de cette famille pour plaisirs, jeux, amusements, voyages, lectures, associations, sont absolument nulles. Cette famille échappe donc à toute propagande par le journal, la brochure, le livre[1]… » N’était-ce pas avouer que la faculté de participer à la vie civilisée sous toutes ses formes se trouve en de pareils milieux, singulièrement réduite ?

Et encore la famille citée peut-elle compter parmi les privilégiées. Si l’on en veut des preuves, diront les socialistes d’aujourd’hui, point n’est besoin de remonter aux enquêtes d’Engels sur la situation des ouvriers anglais. De nos jours, après des hausses de salaire incontestables, dans un des pays où l’industrie est encore le plus florissante, on a montré que plus d’un vingtième de la population ne gagne pas le minimum nécessaire à la vie matérielle ; 28 pour 100 des habitants le gagnent tout juste[2].

Qu’est-ce à dire, sinon que la civilisation se réduit en effet, pour ceux qui vivent dans ces conditions, à un dressage qui les transforme en machines ? Après avoir exercé tout le jour des activités purement mécaniques, ils ne peuvent plus satisfaire, — quand encore ils les satisfont, — que strictement les besoins organiques.

On exagérait donc l’heureuse influence actuelle de la complication sociale. Il est vrai qu’elle est bien une des tendances maîtresses de notre civilisation ; mais elle est perpétuellement contrariée dans ses effets normaux par une tendance toute différente, qui naît de la coalition de certaines formes de notre droit avec certaines formes de notre industrie. Pour enrayer les conséquences fâcheuses d’une spécialisation intensive, on comp-

  1. Cité par Gide. Rapports du Jury international. Introd. Tome V, 6e part. Économie sociale, p. 65.
  2. V. Rowntree, Poverty, a study of town life, p. 295-305.