Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’appropriation privée sur les conditions de la production machinofacturière. Et en effet, observeront les socialistes, les propriétaires des moyens de production talonnés par la concurrence sont avant tout préoccupés de faire valoir leurs capitaux, c’est-à-dire d’obtenir de leurs ouvriers la plus grande « plus-value » possible. De là ce « resserrement des pores de la journée » dont parle Marx, cette « prolongation des séances » que Proudhon prédisait déjà comme une des premières conséquences de la décomposition du travail dans les fabriques. Les capitaux privés tendent fatalement à faire travailler le prolétaire le plus de temps possible pour le moindre salaire possible. L’usine ne renvoie les salariés qu’après en avoir extrait toute l’énergie disponible.

Dans ces conditions, comment le prolétaire en dehors de l’usine pourrait-il continuer à s’élever ? « La part du loisir dans la vie, a-t-on dit[1], c’est la part du cœur, de l’imagination, de la famille, de la sociabilité à la fois et de l’individualité originale sous leurs formes les meilleures ». Si cette part est réduite au minimum, comment empêchera-t-on l’imagination de se dessécher, les cœurs de se racornir, les êtres humains de devenir à la fois impersonnels et insociables ? Déjà, à ce régime, les groupements les plus naturels risquent de se dissoudre. La famille du prolétaire n’est-elle pas comme écartelée aux quatre coins de l’industrie ? La vie du foyer n’existe plus guère pour celui qui, séparé des siens tout le jour, ne rentre qu’épuisé. Comment pourrait-il encore prendre une part active à la vie des diverses sociétés partielles ? Quel que soit leur but, il n’a pas le plus souvent les moyens d’y concourir ; le temps, les forces, les ressources, tout lui manque.

À la dernière exposition universelle, une maison exposante, en publiant la monographie d’une famille ouvrière dont le

  1. Tarde, Psychol. écon., I, p. 123.