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simple empreinte de ce qu’il fait. » Et Urquhardt : « Subdiviser un homme, c’est l’exécuter s’il a mérité une sentence de mort : c’est l’assassiner s’il ne la mérite pas. La subdivision du travail est l’assassinat d’un peuple. »

Les formes techniques de la division du travail qui dominent aujourd’hui tendraient donc à faire une réalité, pour une masse croissante de travailleurs, de la fable de Ménénius Agrippa, qui réduit un homme à n’être plus qu’une partie de lui-même. Vainement cherche-t-on ici « l’individu intégral « capable de développer harmonieusement toutes ses virtualités ; l’individu lui-même est morcelé ; il est d’autant plus parfait qu’il est plus borné et plus incomplet. Ce n’est plus qu’un organe, un instrument, un accessoire de la machine[1].

Dira-t-on que cette situation ne pèse sur l’ouvrier qu’à l’intérieur de l’usine, mais qu’au dehors il est libre de développer toutes ses puissances, en participant à toutes les formes qu’il lui plaira de la vie sociale ? Il se peut que la machine le condamne pour un temps à un service fastidieux ; mais ne diminue-t-elle pas aussi le temps pendant lequel il est « de service » ? L’asservissement est donc partiel et momentané : au vrai la liberté y gagne.

Telles étaient bien en effet les perspectives entr’ouvertes par l’apparition des « esclaves de fer et d’acier ». Ne devaient-ils pas rendre inutiles les esclaves de chair et d’os ? Du moins la machine, en décuplant la production, accroîtrait les loisirs du producteur. C’est ainsi que des pasteurs invitaient les ouvriers de fabriques à rendre grâce à la Providence, « parce qu’au moyen des machines elle leur procure des loisirs pour méditer sur leurs intérêts éternels[2] ».

On n’oubliait qu’un point : la pression du régime juridico-économique sur les formes techniques, les effets exercés par

  1. V. Capital, I, p. 150-160.
  2. Cité par Marx, loc. cit., p. 185.