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gique. Derrière la façade égalitaire, les forces économiques continuent leur travail fatal d’opposition. Et bien loin qu’elle ait effacé les luttes de classes, tout l’effort de la société démocratique n’a abouti, jusqu’ici, qu’à simplifier ces luttes en les aggravant.

Considérons en effet le résultat vers lequel conspirent et le régime juridico-économique qui pèse sur notre monde et les formes techniques qui s’y épanouissent. Ce régime, c’est celui de la propriété privée ; cette technique, c’est celle de la grande industrie. De plus en plus la production par les machines tend à se substituer aux autres modes de production. Elle rassemble, dans les fabriques, des foules sans cesse plus nombreuses de travailleurs détachés des petits ateliers ; en ce sens on peut dire que de plus en plus la production prend une forme collective. Mais les moyens de production restent propriété individuelle. C’est aux mains de particuliers que la richesse créée par cette production collective vient affluer. Les capitaux se concentrent donc en même temps que le machinisme se complique. Contre les grands possesseurs de machines, les petits producteurs indépendants ne peuvent plus soutenir la lutte. Un à un ils sont obligés, pour vivre, de venir offrir leurs bras à la grande usine.

En un mot, pendant que diminue mécaniquement le nombre des détenteurs de la richesse, le nombre augmente mécaniquement « de ceux qui n’ont pour vivre que leur travail, et qui ne trouvent du travail qu’autant que leur travail accroît le capital[1] ». Et c’est ainsi qu’il ne reste plus en présence que deux groupes, mais plus séparés peut-être que ne l’ont jamais été les classes légalement définies : l’immense armée des prolétaires en face du petit état-major des capitalistes.

  1. Manifeste com., par. 15.