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mais il ne saurait faire la moindre concession aux tendances socialistes. — Toutes les argumentations de ce genre se réduisent au même thème : « l’institution des classes séparées est sans aucun doute défavorable à la répartition des tâches la plus naturelle, et par suite la plus féconde. Mais du moment que ces séparations sont tombées, de quoi la démocratie se plaint-elle encore ? Il n’y a plus de classes. »

C’est contre cette affirmation répétée que le socialisme s’insurge, au nom des réalités économiques. S’il distingue insuffisamment, nous l’avons vu, entre les formes techniques de la division du travail et les régimes juridiques auxquels elle peut être soumise, il distingue au contraire avec la plus grande netteté entre l’aspect juridico-politique et l’aspect juridico-économique de ces mêmes régimes. La condition des hommes n’est pas définie seulement, nous rappelle-t-il, par les rapports directs qui les relient les uns aux autres, par les lois qui règlent l’attitude de la justice civile ou pénale à leur égard, leur admission aux diverses carrières, leur participation au gouvernement ; elle se définit encore par les rapports qui les relient aux choses, par les modes d’appropriation que les lois consacrent. Que le régime de la propriété permette l’accumulation des biens aux mains des uns, et le dénûment progressif des autres, alors des fossés se creusent fatalement, qu’aucune « déclaration » théorique de l’égalité des droits ne saurait combler. Égaux en principe, et par là-même « déclassés » officiellement, les hommes ont bientôt fait de se reformer en groupes séparés par leurs intérêts ; des classes économiques prennent seulement la place des classes juridiques. Et la lutte continue.

Il est donc vrai que les hommes ne sont plus distribués par la loi, en groupes officiellement étagés, comme l’étaient les différentes couches de la cité antique ou du régime féodal. Mais pour n’être qu’un contre-coup de la distribution des richesses, l’antagonisme des classes n’en est pas moins tra-