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quente des conditions, la démocratie vise légitimement à la suppression des classes. En poursuivant cette fin elle n’oublie pas plus les nécessités de la production que les données de la nature ; elle ne méconnaît ni la diversité inévitable des facultés, ni la diversité indispensable des fonctions ; elle proteste contre les inégalités de situation qui précisément rendent très difficile l’exacte adaptation des fonctions aux facultés.

II

Mais, dira-t-on peut-être, si l’argumentation vaut contre les anciens régimes, qui multiplient les barrières, vaut-elle encore contre celui qui prédomine aujourd’hui dans notre civilisation, et qui les abaisse toutes ? Aujourd’hui les incapacités juridiques ne sont plus que des souvenirs. La loi ne reconnaît plus de classes. Toutes les voies sont ouvertes : chacun peut donner la mesure de ses forces, et chercher fonction à sa taille. D’autre part, une fois que l’homme a choisi sa profession, il n’y est pas enfermé : il possède, nous l’avons vu, d’autres points d’attaches, il peut nouer des relations dans vingt autres cercles que le cercle professionnel. Les « incompatibilités » s’effacent ; et avec elles disparaît tout ce qui limitait les ambitions, tout ce qui étouffait les virtualités. Les effets de la complication sociale viennent en un mot limiter heureusement, ici, les effets de la différenciation, pour le plus grand développement des individualités. Sous un pareil régime, les hommes ne jouissent-ils pas de toute la liberté et de toute l’égalité conciliables avec les exigences de la production et les tendances de la nature ? Demander davantage, c’est vouloir effacer les sociétés des cadres de la vie.

Ainsi paraissent raisonner les sociologues qui greffent, à la manière de Spencer, l’individualisme sur le naturalisme. M. Novicow, par exemple, fout en proclamant la nécessité