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sociale. Les deux ne marchent point du même pas. Entre le développement de l’un et le développement de l’autre il y a bien plutôt opposition que parallélisme[1]. Il faut que les sociétés cessent d’être sectionnées à la manière des organismes supérieurs en parties rigoureusement fermées et nettement tranchées, pour que, dans l’entre-croisement même des associations partielles, ressorte la figure propre de l’individu.

Il semble donc que la démonstration générale que nous cherchions nous soit fournie par l’examen du problème particulier qui nous était proposé : l’exemple de la différenciation prouve suffisamment à quels mécomptes on s’expose lorsqu’on veut assimiler les sociétés aux organismes. Si ce rapprochement permet de réagir contre l’abus de certains postulats familiers à l’ancienne économie politique, et s’il pose heureusement certains problèmes, il ne nous met nullement sur la voie des distinctions nécessaires à leur solution ; il tend, tout au contraire, à nous faire négliger la spécificité des formes sociales. On se trouve alors amené à conclure, au mépris des constatations de l’histoire, que l’évolution des sociétés reproduit l’évolution des organismes.

Or, de fait, entre le progrès des uns et le progrès des autres, s’il n’est pas vrai qu’il y ait opposition totale et absolue, il se manifeste du moins des divergences profondes. Si par certains côtés les transformations de notre civilisation occidentale imitent celles dont la série animale donne le modèle, — puisque dans nos sociétés aussi la spécialisation augmente, — par d’autres côtés les deux évolutions se contrarient, — puisque dans nos sociétés seules la différenciation

  1. Simmel, loc. cit., p. 137.