Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laire, n’ont d’autre fonction que d’augmenter la finesse ou l’intensité des sentiments sympathiques. La loi de la division du travail se retrouve donc ici, et continue d’opérer au delà du monde des affaires ; les associations multiples se spécialisent ; chacun poursuit un objet propre.

Mais, parce qu’elle poursuit un objet propre, chacune a-t-elle aussi ses ouvriers spéciaux, assujettis à son but, et étroitement enfermés dans sa sphère d’action ? On sait que le plus souvent, au contraire, les individus, loin d’ « appartenir » à tel ou tel de ces groupements, « participent » à beaucoup d’entre eux, celui-ci d’ordre purement économique, celui-là d’ordre politique ou religieux, l’un permanent, l’autre éphémère, l’un local, l’autre international. Il se produira donc un chevauchement des individus sur les groupes. Chacun aura chance de rencontrer, sur des terrains différents, de nouveaux associés ; les fidèles d’églises adverses se ligueront par exemple pour telle cause patriotique ou philanthropique ; un même parti politique réunira des gens de provinces et de professions très diverses. Le métier asservit de moins en moins son homme. De plus en plus on tient à distinguer entre les moments où l’on est « de service » et ceux où l’on est « un homme comme tout le monde », capable d’aller et venir librement dans toute la variété des cercles sociaux. En un mot notre civilisation ne voit pas seulement se multiplier, elle voit s’entre-croiser ces cercles. Et c’est cet entre-croisement incessant, cette interpénétration universelle qui constitue le phénomène original, gros de conséquences nouvelles, que l’analogie des organismes ne pouvait nous faire prévoir.

Et sans doute, même au sein des organismes, la différenciation n’est jamais absolue. Nous l’avons remarqué[1], si dans les organes séparés tous les éléments semblables avaient radicalement disparu, la spécialisation même ne pourrait pro-

  1. V. plus haut, p. 121. Cf. Worms, Org. et soc.