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tuants ou dans leurs formes massives, la même conclusion s’impose ; l’humanité n’est plus un empire dans un empire ; l’œuvre maîtresse du xixe siècle a été, comme le disait Cournot, de la réintégrer définitivement dans la nature.

Dès lors comment ne demanderait-on pas à l’étude méthodique de la nature de dénouer nos discussions morales ? Tant qu’on a voulu, pour juger l’orientation des sociétés, les comparer à quelque idéal « en l’air », descendu de quelque tradition ou projeté par la réflexion personnelle, on ne pouvait s’entendre. Les seules vérités consistantes capables de rallier les consciences modernes sont les vérités scientifiques. Reprenons donc pied dans les réalités. Demandons ses modèles à la vie. Relevons, pour la prolonger, la courbe du progrès des espèces. Dans l’évolution organique repérée par les naturalistes, déchiffrons, pour les dicter aux groupements humains, les volontés de la nature. C’est le seul moyen d’obtenir, enfin, un critère objectif du bien et du mal.

Telles sont les défiances et tels sont les espoirs que semblent partager de nos jours un nombre croissant d’esprits. Entraînés par la marche conquérante du dernier siècle, ils attendent des sciences les plus récemment armées, de celles qui ont assiégé l’humanité du plus près — les sciences naturelles — le mot d’ordre qu’ils ne veulent plus recevoir ni de la religion ni de la métaphysique. Ils escomptent l’élaboration d’une morale « exclusivement et rigoureusement scientifique » ; entendez : d’une morale naturaliste, dont les prémisses seraient fournies par la biologie.

Et certes, il ne faut pas croire que l’effort pour constituer une morale scientifique et naturaliste date de notre époque. C’est là une ambition vieille comme la Grèce, tout au moins