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probablement les lois générales induites de l’observation des êtres vivants sont ici à moitié vraies, applicables sur certains points, et portant à faux sur d’autres. Et c’est à discerner ces convergences et ces divergences que doivent nous servir les distinctions que nous avons élaborées.

Si l’on se place par exemple au point de vue technique, il est trop clair que le travail se divise dans les sociétés comme dans les organismes, et que plus leur civilisation nous paraît progressive, plus aussi la division du travail s’y montre avancée.

C’est tout près de nous, dans la civilisation occidentale contemporaine, que ses différentes formes — spécialisation des professions, décomposition des opérations, sectionnement de la production, — ont pris un développement incomparable.

Qu’est-ce que la douzaine de professions qu’on discerne au début de la civilisation hindoue ou de la civilisation hellène, auprès des milliers qui pullulent chez nous ! En chiffres ronds il n’y aurait pas moins aujourd’hui de 10 000 modes d’activité humaine dont chacun, dans notre société moderne, pourrait occuper un individu toute sa vie[1]. Et l’on sait avec quelle rapidité ce nombre s’accroît. En treize ans, de 1882 à 1895, le chiffre des désignations de professions dans la statistique allemande s’est accru de plus de 4 000. Dans une seule ville, à Leipzig, un statisticien[2] a relevé, de 1860 à 1890, l’apparition de plus de 200 professions nouvelles. La décomposition des opérations croit peut-être encore plus vite, stimulée qu’elle est par le progrès du machinisme. On a depuis longtemps dédoublé les 18 phases qu’admirait Adam Smith dans la fabrication des épingles. Dans la cordonnerie une machinofacture compte aujourd’hui près de 50 opérations distinctes. On dit qu’il en faut 1662 pour la con-

  1. K. Bücher, Études, p. 294.
  2. Petrenz, op. cit., p. 88.