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oublient, dans les jugements qu’ils émettent sur les tendances de la démocratie, ces distinctions proprement sociologiques, il est aisé maintenant de s’en rendre compte.

Reportons-nous seulement aux apologies de la différenciation que nous avons citées[1] ; nous pourrons y admirer ce « confusionnisme » qui marche de pair avec les analogies biologiques. Division des fonctions ou séparation des classes, différenciation des groupes ou différenciation des individus, on ne prend pas la peine de distinguer ces phénomènes ; on se contente de retenir l’idée que, d’une manière générale et comme en bloc, « le développement de la société est celui de la nature organique », c’est-à-dire qu’il obéit à la loi de la spécialisation progressive. On se dispense ainsi de regarder en face la spécificité des faits sociaux : elle disparaît dans l’ample manteau de l’évolutionnisme ; et l’on croit n’en avoir plus rien à dire quand on a répété, après Spencer, que toutes les formes de l’être passent de l’homogène à l’hétérogène.

En face de la thèse générale ainsi utilisée, rien ne serait plus facile sans doute que de dresser une thèse parallèle, et de sens exactement contraire. Cournot ne faisait-il pas remarquer[2] que l’analogie biologique, si elle est valable pour les débuts des groupements humains, convient de moins en moins à leurs progrès, et qu’ainsi, à mesure qu’elles se développent, les sociétés devenant de plus en plus rationnelles et de moins en moins naturelles, littéralement se « désorganisent » ? Le philosophe qui a le plus recueilli de la pensée de Cournot, le théoricien de l’imitation, M. Tarde illustre à sa façon et de mille façons cette idée[3] en montrant que de

  1. V. plus haut, p. 114.
  2. Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire, II, p. 17, 32, 239. Cf. I, p. 332.
  3. V. Les lois de l’imitation.La logique sociale.Les lois sociales (Paris, F. Alcan).