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I

Il importe de le rappeler d’abord : cette idée des bienfaits de la différenciation qui devait porter tant de fruits, au xixe siècle, dans le champ des sciences naturelles, est née au xviiie dans le champ des sciences sociales. C’est au sein de la théorie économique de la division du travail qu’elle plonge ses racines. Les économistes ont les premiers attiré l’attention sur les avantages de la spécialisation. C’est en termes d’économistes — nous l’avons vu[1] — que les naturalistes en expriment les effets organiques. Ils comparent les vivants à des machines dont le « rendement » est amélioré, à des ateliers dont les produits sont « plus raffinés, plus exquis », lorsque les tâches y sont plus divisées. Bien loin donc que la sociologie ait pris modèle sur la biologie, c’est l’observation des phénomènes humains qui a guidé, en cette matière, l’étude des phénomènes naturels. Le concept initial est descendu de l’humanité à la nature, au lieu de monter de la nature à l’humanité.

Mais peu importent, diront les partisans de la théorie organique, ces questions d’origine. Il est possible que l’idée de la différenciation ait d’abord été transférée de l’histoire humaine à l’histoire naturelle. Mais aujourd’hui, après avoir traversé toute la biologie du xixe siècle, elle vous est revenue transformée, élargie, enrichie ; les faits innombrables qu’elle traîne après elle ne pouvaient manquer de réagir heureusement sur vos conceptions. Ils vous aidaient à dilater les cadres de l’ancienne économie politique. Ils attiraient précisément votre attention sur les lacunes de cette théorie de la division du travail, dont le principe de la différenciation organique devait sortir : telle qu’Adam Smith l’a élabo-

  1. V. plus haut, p. 23.