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tant supposer la démonstration scientifique du progrès des êtres, avoue qu’en vérité il n’y a ni animaux supérieurs ni animaux inférieurs. « Chaque espèce animale ou végétale est adaptée à des conditions particulières de vie, et est plus parfaite que toute autre pour les conditions qui lui sont données[1]. » Ainsi en revient-on peu à peu à la vieille pensée de Cuvier, selon laquelle toutes les espèces sont parfaites en leur genre. Ainsi dissocie-t-on de plus en plus ces deux concepts, si intimement liés encore dans l’opinion, d’évolution et de progrès. Et cette dissociation ne peut manquer de retirer, au principe de la différenciation, son prestige « scientifique ». Aussi longtemps que nous avons voulu user de critères objectifs, nous avons reconnu que la différenciation comporte pour le moins, tant au point de vue des éléments qu’au point de vue des ensembles, autant d’inconvénients que d’avantages ; quand nous lui avons attribué enfin un prix incomparable, nous avons reconnu aussi que nous cessions d’user de critères objectifs.

Ainsi, malgré l’apparente unanimité qu’on nous opposait, l’examen critique des moyens employés et des résultats obtenus par la différenciation nous a convaincus que, même lorsqu’il s’agit des espèces animales, il est illégitime d’identifier tout uniment différenciation et progrès. Tout dépend finalement du point de vue où l’on se place : et le point de vue final ne dépend pas de la science naturelle.

Que dirons-nous alors quand il s’agira des sociétés ! Qui ne voit combien leurs caractères propres doivent compliquer le problème, et rendre encore plus chimérique l’application de ce prétendu « mètre du progrès » !


  1. M. Gaudry lui-même, parlant des têtards, aboutit à une observation analogue. Op. cit., p. 30.