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parce qu’elles sont puissantes que parce qu’elles sont « exquises[1] ». Or n’y a-t-il pas en effet un des produits de ces facultés raffinées qui est incomparable et dépasse infiniment, en qualité, tous les autres réunis ? Et c’est la capacité d’adapter les moyens à des fins, c’est l’activité consciente, c’est la pensée même.

À la bonne heure ; et il semble que nous tenions enfin une supériorité à laquelle aucun organisme indifférencié ne pourra prétendre. Quelle que soit la nature intime du rapport qui unit le système nerveux au système mental, on les voit, dans la série animale, grandir ensemble, et l’un portant l’autre. La flamme de la conscience ne descend que sur la tête des êtres dont l’appareil nerveux est suffisamment ramifié et unifié. Or, en fait, c’est dans les êtres différenciés que cet appareil se ramifie et s’unifie. C’est sans doute parce qu’ils ont à relier, à équilibrer et à concerter un grand nombre d’éléments distincts, que ces êtres se constituent cet organe de transmission, de concentration et d’administration qui s’appelle le cerveau. Voilà pourquoi nous glorifions justement les êtres différenciés et les louons de consommer les matériaux préparés par d’autres : car seuls ils les emploient à une œuvre immatérielle, car seuls ils ont construit, comme dit le poète italien[2], « un trône pour le dominateur qui va venir, un poste d’honneur pour l’esprit ».

Mais lorsque nous décernons ainsi aux organismes différenciés la palme que nul ne peut leur ravir, usons-nous du critère objectif qu’on nous promettait, emprunté aux sciences naturelles ? Avons-nous vraiment laissé parler les choses, et lu dans le livre de la nature que l’esprit a une valeur absolue, qu’il y a par suite des raisons de vivre supérieures à la

  1. V. plus haut, p. 23.
  2. Fogazzaro, Les Ascensions humaines, p. 220.