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où elle commande à ses fonctions diverses, leur permet de parer de plus loin aux dangers, et de se plier plus intelligemment aux nécessités de la vie : ils sont plus mobiles et plus adroits par cela même que leurs organes sont plus variés et plus solidaires. Mais si une pareille constitution augmente en ce sens leurs chances de survie, n’augmente-t-elle pas aussi, d’un autre côté, leurs chances de mort ? Les composés les plus complexes sont rarement aussi les plus stables. « Pour détruire l’équilibre chancelant des êtres supérieurs, dit M. Lalande[1], il ne faut qu’un grain de sable. La savante hétérogénéité du corps humain le met à la merci d’une piqûre d’aiguille bien placée : tout l’édifice croule en un moment parce qu’il est trop multiple et trop solidaire en ses parties. »

D’ailleurs, est-il vrai que cette constitution des corps différenciés augmente d’une manière absolue leur capacité de varier pour s’adapter aux circonstances nouvelles ? C’est, ce qui a été contesté. Il semble bien, d’après les recherches de Krause et de Riley, que si la différenciation favorise en un sens la production des variations, elle limite leur étendue[2]. Si elle multiplie les variations faibles, elle interdit les variations importantes. En changeant progressivement la composition chimique de son milieu, on fait prendre successivement au bacille pyocyanique toutes les formes connues chez les microbes[3]. Des êtres différenciés supporteraient difficilement de pareilles expériences. La liaison même de leurs organes divers limite leurs métamorphoses. Qu’une condition de milieu fasse, en effet, varier l’un de ces organes sans ébranler les autres : les relations nécessaires de l’organe modifié avec ceux qui ne le sont pas déterminent un frottement qui tempère et finalement arrête la variation. « Il y a

  1. Op. cit., p. 44.
  2. D’après Delage, op. cit., p. 286.
  3. Cf. Guigniard, dans l’Encyclopédie des Sciences médicales, I, p. 41.