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d’accord sur la nature de cette immortalité, ni sur les procédés par lesquels elle s’entretient. Mais ils semblent bien d’accord sur ce point, que la vie ne se perpétue que dans l’indifférenciation[1]. La conjugaison des infusoires, qui paraît nécessaire à leur rajeunissement, est essentiellement une restauration momentanée de l’homogénéité de leurs parties. Dans les êtres supérieurs, les œufs, comme le remarquait déjà Milne-Edwards, ne sont que des cellules non différenciées, le plasma qui porte la vie d’individu en individu reste, par rapport au soma, remarquablement homogène. Ce ne sont pas des ouvriers spécialisés qui constituent cette armée de réserve de l’organisme : c’est parce qu’ils sont bons à tout faire qu’ils sont employés au service de la reproduction.

Toute cellule spécialisée est donc bien une cellule condamnée. La quantité de vie dont elle dispose est restreinte. Elle perd en puissance comme en indépendance. Et l’on peut difficilement soutenir que la différenciation lui soit avantageuse, puisqu’elle ne lui demande rien moins que l’abnégation totale de son individualité.

Mais, dira-t-on, vous aviez tort de chercher, dans la situation faite aux éléments, les bénéfices de la différenciation. C’est en effet à l’ensemble, et non aux parties, à l’organisme et non aux cellules, qu’elle est profitable. Leur inégalité, leur dépendance, leur effacement ne sont que les conditions de sa puissance globale. Plus elles poussent, loin l’abnégation, et plus haut il se place sur l’échelle des êtres. Les espèces ne cessent pas, on le sait, de lutter pour la domination : les types les plus différenciés l’emporteront naturellement sur ceux qui auront obtenu, de leurs éléments constituants, de moindres sacrifices. Que les cellules soient donc consolées, si tant est qu’elles peuvent penser : elles passent,

  1. Cf. Lalande, Dissolution, p. 130-150.