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II

Mais, à considérer les résultats eux-mêmes obtenus par la différenciation, on s’aperçoit qu’on ne peut nullement soutenir qu’ils soient à tous les points de vue avantageux.

Se place-t-on au point de vue des éléments constitutifs de l’organisme différencié ? La conclusion ne peut être, semble-t-il, que pessimiste. Tant qu’ils ne forment que des « colonies », on nous a montré ces éléments se suffisant à eux-mêmes, capables de se détacher de l’ensemble, relativement égaux et indépendants. Mais quand la colonie se transforme en organisme proprement dit, on les voit « déchoir à l’état d’organes[1] ». Adieu l’égalité et l’indépendance des individualités élémentaires : car l’individualité même leur est enlevée. Suivons la formation du rein des vertébrés : entre les parties de même nature, qui appartenaient tout d’abord à des membres différents d’une même colonie, des fusions, des coalescences se produisent qui effacent toute trace des unités primitives ; l’individu est résorbé dans l’organe. Tout ce que l’organisme composé gagne en unité, ses éléments le perdent en indépendance[2]. Si donc on peut encore parler de « Républiques de protistes », il faut dire avec M. Verworn[3] que les États cellulaires supérieurs sont essentiellement despotiques, puisqu’ils enlèvent toute liberté en même temps que toute égalité à leurs cellules.

Mais, dira-t-on, ce que l’individualité élémentaire perd ainsi en indépendance, elle le regagne sans doute, et au cen-

  1. Cf. Perrier, op. cit., p. 679, 688, 720, 216.
  2. Cf. Delage, op. cit., p. 32.
  3. Op. cit., p. 636.