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dogme religieux, semble bien tranché définitivement. Du moins, dans les âmes soucieuses à la fois de religion et de morale, le rapport des deux termes est-il le plus souvent renversé. La religion s’appuie désormais sur la morale bien plutôt que la morale sur la religion. L’esprit, qui exige une opinion raisonnée, ne se contente plus d’une tradition, ne s’enchaîne plus à un dogme, ne s’incline plus devant une autorité. Il est trop tard : pour estimer la fragilité ou la solidité des conceptions démocratiques, ce n’est pas d’une religion que la conscience moderne acceptera sa pierre de touche.

La demandera-t-elle donc à un système métaphysique ? — Si l’esprit se sentait emprisonné par les religions, il se sent libéré, certes, par les philosophies. Mais, précisément, ne lui laissent-elles pas plus de liberté qu’il ne voudrait ? Devant la variété des systèmes successifs, ou simultanés, comment va-t-il opter ? Ne s’est-il pas souvent aperçu, d’ailleurs, que les constructions intellectuelles recevaient leur plan de quelque sentiment caché ? que le désir de justifier quelque tradition ou quelque innovation était le moteur secret de bien des théories a priori ? et qu’ainsi les abstractions de la philosophie ne faisaient que servir de façades aux opinions personnelles des philosophes ? Ainsi s’explique sans doute ce fait, que nous voyons grandir autour de nous, à côté de la défiance du dogme, la défiance de l’abstraction. Un grand nombre d’esprits, et qui croît tous les jours, professe un dédain méthodique à l’égard des « systèmes a priori », des « concepts sans réalité ». Nous avons voulu sortir des cathédrales, semblent-ils dire ; mais ce n’est pas pour chercher abri sous vos châteaux de cartes…

Et s’ils se montrent si dédaigneux, c’est qu’ils ont placé leur confiance en d’autres mains ; c’est qu’une troisième puissance leur offre ses services, qui paraît au premier abord ne présenter les inconvénients ni de la religion ni de la