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pensable à la force, à la puissance, à l’autonomie de la société, entraîne fatalement avec elle, comme une nécessité qu’on n’a pas le droit d’appeler un mal parce qu’elle est dans l’essence des choses, l’inégalité des conditions ».

Ajoutons que les éléments ainsi différenciés et asservis, pour le perfectionnement de l’organisme, doivent encore perdre l’espoir de participer tous à la direction de ce travail auquel tous concourent ; car, pour le perfectionnement de l’organisme, la fonction directrice aussi doit être différenciée, et réservée à un organe spécial. Suivant une expression de M. Espinas, le progrès des organismes a consisté à concentrer, par une longue série de « délégations successives », les activités directrices en un certain nombre de cellules qui, se consacrant tout entières au gouvernement, en enlèvent leur part à tous les autres. Dans les êtres inférieurs dont l’activité reste imparfaite, les fonctions peu variées et mal coordonnées, comme chez les annélides, la domination des éléments directeurs est encore restreinte et temporaire ; mais montons vers les êtres supérieurs, capables d’actions combinées, et nous verrons cette domination se fixer et s’étendre. Les cellules cérébrales, chez l’homme, possèdent, en même temps qu’un rôle à part, une nature toute spéciale, et comme le privilège du gouvernement central. Il n’y a que les organismes primitifs pour tolérer quelque chose qui ressemble à la souveraineté populaire.

Mais s’il en est ainsi, et si le perfectionnement des êtres ne s’obtient qu’aux dépens de la liberté, de l’égalité, de la souveraineté de leurs éléments constituants, n’est-il pas d’ores et déjà manifeste que l’esprit démocratique est aveugle, qu’il ne tient nul compte des nécessités naturelles, et que les formes sociales par lui vantées, comme les matrices de toutes les améliorations désirables, ne sont propres qu’à la désorganisation ?