Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à peine. En attendant, faute d’air et de lumière, on ne peut pas dire combien de plantes s’étiolent, qui auraient porté les meilleurs fruits. Et ainsi la société laisse retomber bien des forces que lui tendait la nature. Et ainsi la situation faite aux classes inférieures, qui doivent, d’après nos anthroposociologues eux-mêmes, fournir aux classes supérieures les éléments nécessaires à leur renouvellement, porte préjudice à tout l’ensemble.

Qu’on ne réponde pas que, pour ce renouvellement nécessaire, on n’a jamais compté sur le prolétariat des villes, fatalement condamné à la dégradation physique et morale, mais bien sur les classes rurales, seules robustes et saines[1]. Car pour monter vers les fonctions dirigeantes, il faut que les ruraux commencent par se faire citadins. Or, ce n’est pas d’ordinaire du premier coup que les races nouvelles venues dans la ville gagnent les hautes sphères de la société : le jour de leur incorporation est rarement aussi le jour de leur ascension. C’est dans les étages inférieurs de l’agglomération urbaine que le paysan vient prendre sa place. Stage dangereux, et qui risque de faner les qualités qu’il importe : si la classe rurale est l’eau vive et fraîche qui doit régénérer les classes supérieures, ne va-t-elle pas se contaminer à séjourner dans ces canaux malsains ?

Dira-t-on encore que cette organisation a tout au moins le mérite d’être un puissant instrument de sélection ? et que plus le milieu inférieur est délétère pour le corps et pour l’esprit, plus on sera sûr qu’ils sont forts et vraiment dignes d’en sortir, ceux qui l’auront traversé sans défaillir ? Admettons que l’argument vaille pour les supériorités physiques ; il est du moins, en ce qui concerne les supériorités mentales, singulièrement sujet à caution. L’industrie demande au prolétariat ce qu’il peut donner de temps et de forces. Qu’après

  1. C’est la thèse de Hansen, Die drei Bevölkerungsstufen.