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déshéritées est compensée par une plus grande natalité. D’une manière générale les pauvres produisent plus d’enfants que les riches. Mais pour le développement physique et mental de ces enfants, pour la mise en valeur de leurs qualités natives, comment le terrain est-il préparé ? et quelle sorte de « puériculture » institue ici l’organisation sociale ? Avant sa naissance même, par le seul fait que sa mère est d’ordinaire astreinte au travail jusqu’à ses couches, l’enfant n’est-il pas déjà inférieur à ce qu’il aurait pu être ? D’après les observations du Dr Pinard, le poids de l’enfant d’une femme qui s’est reposée deux à trois mois est supérieur d’au moins 300 grammes à celui de l’enfant d’une femme qui a travaillé debout jusqu’à l’accouchement[1]. C’est pourquoi ceux qui sont soucieux de l’avenir de la race demandent aujourd’hui des mesures protectrices de la femme enceinte : l’infériorité économique est capable de vicier la vie jusque dans ses origines. Trop souvent en tous cas, l’enfant une fois né, cette même infériorité pèsera lourdement sur ses épaules, et travaillera à enrayer son développement.

On se souvient de l’émotion qui saisit l’opinion anglaise et décida du vote des « factory acts » en 1833, lorsqu’on découvrit qu’il y avait des enfants de 5 ans condamnes à travailler 12 heures par jour dans des mines mal aérées et pleines d’eau, en compagnie de malfaiteurs qui les maltraitaient ; qu’il y avait des filles attelées à des wagonnets de houille, et les traînant dans des galeries trop basses pour qu’on pût s’y tenir debout. Et certes toutes les législations modernes sont aujourd’hui d’accord pour interdire de pareils abus, qui tuent lentement l’être humain avant même qu’il soit formé. Mais qui n’avouerait qu’elles ont encore sur ce point beaucoup, presque tout à conquérir ? La défense de l’enfance s’organise

  1. Revue d’hygiène, 1898, XX, p. 1075 sqq. — Cf. le récent volume de M. de Lanessan, La lutte pour l’existence et l’évolution des sociétés, livre III (Paris, F. Alcan).