Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas à revenu fixe, sont d’ordinaire peu fécondes. Les professions à la fois libérales et à revenu fixe sont les moins fécondes de toutes. » En un mot, les familles qui détiennent une part du capital semblent craindre par-dessus tout l’amoindrissement de cette part, qu’elles considéreraient comme un prodrome de déchéance sociale. Un trop grand nombre d’enfants réduirait les parents à la gêne, ou gênerait les enfants eux-mêmes, en diminuant la richesse nécessaire pour que chacun d’eux garde son rang et ne tombe pas dans une situation réputée inférieure. Tel est le raisonnement qui explique, dans la plupart des cas, l’infécondité croissante de nos classes dirigeantes et possédantes. Il prouve sans doute que, de l’aveu commun, pour s’introduire ou pour se maintenir dans les sphères supérieures de nos sociétés, il faut moins compter sur sa personne que sur les choses, sur le talent naturel que sur les appuis matériels, sur les capacités que sur les propriétés. Il prouve en tout cas que l’institution actuelle des classes n’est pas le meilleur instrument de sélection anthropologique qu’on puisse rêver, puisqu’ici elle empêche la naissance, comme tout à l’heure elle hâtait la mort des individus les plus précieux à la société.

Mais, dira-t-on, vous raisonnez toujours comme si ces individus étaient en effet les plus précieux. L’extinction des souches dirigeantes a en réalité bien moins d’importance ; car la plupart de leurs rejetons sont mal venus, et inférieurs à leur fonction sociale.

Admettons le cas ; il manifestera encore, par un autre côté, combien la subsistance des classes peut être défavorable à l’ensemble.

Que prouve-t-il en effet, sinon que, par la force des situations acquises, des individus peuvent monopoliser des fonctions auxquelles ils sont manifestement inférieurs ? Ces disproportions des capacités avec les fonctions sont surtout