Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

générale, les deux courbes coïncident. Dans les classes possédantes, vous trouverez rassemblées un nombre de capacités réelles plus grand que le calcul ne vous l’aurait fait espérer : ne craignez donc pas qu’il en reste beaucoup d’inutilisées ou de stérilisées dans les classes misérables[1].

Que vaut ce raisonnement « scientifique » ? Passons pour l’instant sur ses postulats nécessaires. Pour appliquer le calcul des probabilités à la question de la production des talents, on nous représente ceux-ci comme résultant de la combinaison d’un certain nombre d’aptitudes déterminées. Il y aurait sans doute bien à dire sur cette transformation un peu violente de la qualité en quantité[2]. Mais ce qui nous importe, pour décider si la démocratie est bien ou mal venue à réclamer contre la séparation des classes, c’est la façon dont on démontre la correspondance de la courbe des revenus avec celle des talents, et que toutes les supériorités naturelles dont une société peut normalement espérer la production sont effectivement concentrées dans ses classes supérieures. Or, on ne le démontre, nous semble-t-il, que par des impressions personnelles. M. Ammon a l’impression que la plupart des autorités sociales qu’il a rencontrées étaient à la hauteur de leur tâche. Il a l’impression encore que la plupart des prolétaires qu’il a rencontrés méritent leur sort et n’étaient réellement pas capables d’assumer quelque fonction supérieure[3]. Mais si nous avons reçu des impressions contraires ? L’opinion de M. Ammon aura-t-elle plus de valeur scientifique que la nôtre ?

Et sans doute, par des analyses de statistiques, on nous a montré qu’en fait les gens supérieurs, ici les savants et là les gens de lettres, étaient de beaucoup plus nombreux dans

  1. Ammon, op. cit., p. 109, 182.
  2. Cf. Carl Jentsch, Socialauslese, p. 176, 199.
  3. Loc. cit., p. 82, 146-184.