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LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

L’esprit de la caste ne saurait donc être né de l’esprit de la famille.

C’est triompher trop aisément. M. Senart n’a pas oublié l’exogamie de la gens. Il nous rappelle qu’au témoignage de Plutarque, les Romains n’épousaient jamais, dans la période ancienne, de femmes de leur sang[1]. Il reconnaît donc que les souvenirs de la gens peuvent bien expliquer l’exogamie interne de la caste, qui défend, par exemple, les mariages entre les membres d’une même gotra ; mais ils ne sauraient expliquer son endogamie. Force est d’accorder que la caste est la réunion de plusieurs gentes plutôt que la prolongation d’une gens. Si M. Senart maintient néanmoins que la caste s’est modelée sur l’organisation familiale, c’est qu’il admet que l’organisation familiale a donné leur forme non pas seulement aux groupes primaires qui seraient les familles proprement dites, mais aux groupes composés, secondaires ou tertiaires, formés par la réunion de plusieurs familles, qui seraient les clans et les tribus. Le clan et la tribu, quels que soient les noms qu’ils prennent dans les différents pays, ne sont que l’élargissement de la famille[2] : « ils en copient l’organisation en l’étendant ». C’est donc à l’image des larges groupes de parents, — clans ou tribus, — non à l’image des groupes étroits de consanguins, — familles proprement dites, — que la caste est endogame.

Ces groupes plus larges sont-ils vraiment l’élargissement de la famille, qui serait le groupe premier ? Ou au contraire faut-il croire que la famille proprement dite s’est spécifiée progressivement, en se détachant de la masse ? D’un autre côté, est-ce dans un groupe « tertiaire » ou dans un groupe « secondaire », est-ce dans la tribu ou

  1. Op. cit., p. 209.
  2. Page 222. C’est la thèse soutenue par M. Hearn (The Aryan Household), et par Leist (Altarisches Jus civile).