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INTRODUCTION

les tisserands de l’Ouest du Bengale, ruinés par l’importation anglaise, à chercher un nouveau gagne-pain[1] : tant il est vrai que l’attachement au métier des ancêtres se présente à la conscience hindoue comme un devoir.


En mesurant la place de la spécialisation héréditaire dans la société hindoue, nous venons de rappeler que cette société est organisée hiérarchiquement. Et en effet, nulle part on ne peut constater des distinctions aussi tranchées, nulle part il ne se fait une telle dépense de mépris et de respects.

Les voyageurs ont souvent dépeint la triste condition faite aux Parias. « Il ne leur est pas permis, dit l’abbé Dubois, de cultiver la terre pour leur propre compte. Obligés de se louer aux autres tribus, leurs maîtres peuvent les battre quand ils le veulent, sans qu’ils puissent demander de réparation. Les aliments dont ils font leur nourriture sont de qualité repoussante : ils disputent les débris aux chiens. » Sur la côte de Malabar, on ne leur permet même pas de bâtir des huttes. Si un Naïr les rencontre, il a le droit de les tuer[2]. Lisons maintenant la description de l’entrée d’un gourou[3] : il marche entouré de cavaliers, de musiciens, de bayadères : devant lui l’encens fume, les tapis s’étendent, les arcs de triomphe s’élèvent. La malédiction d’un tel homme pétrifie, et sa bénédiction sauve. Une pincée des cendres avec lesquelles il s’est barbouillé le front est un don inestimable. En retour, on verra de pauvres gens vendre leurs femmes et leurs enfants pour lui procurer les présents qu’il exige[4].

Tous les Brahmanes ne mènent pas cette existence royale, mais la plupart vivent aux dépens des autres castes. En principe, le Brahmane doit se nourrir d’aumônes.

  1. J. Bhattacharya, p. 228
  2. Dubois, op, cit., p. 51, 59, 66.
  3. Ibid., p. 172.
  4. Ibid., p. 167, 169.