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DEUX DE TROUVÉES

l’innocence et la pureté d’Eléonore… Une barrière insurmontable, sacrée, nous sépare. Toi, tu la reverras ; toi, tu pourras lui dire ce que j’ai souffert, et les larmes cruelles dont j’inondai mon chevet, pendant de longues années. Quand ta tendresse te portait à venir me trouver à ma chambre, la nuit, alors que par mes sanglots j’attirais ton attention, je pleurais sur cette faute de mon jeune âge, qui, je le sens, mine la source de ma vie et hâte mes pas vers la tombe.

« Que mon exemple te serve de salutaire leçon. Apprends à dompter tes passions, et à étouffer dans ton cœur ces élans fougueux des sens, qui, s’ils ne sont pas réprimés, dans une nature bouillante, laissent à leur suite des souvenirs qui brûlent, des remords qui rongent, qui torturent, qui tuent !…

« Ma mère était morte ; et mon père, Antoine Meunier, vivait pauvrement sur une petite terre, qu’il avait dans la troisième concession de la paroisse St. Ours, dans le Bas Canada. L’homme le plus généreux et l’un des plus respectables de la paroisse, M. de Grandpré, m’avait pris en amitié, et m’invitait souvent à manger à sa table. Trop orgueilleux pour aider mon père dans la culture de sa terre, je passais mon temps dans l’indolence et la paresse, quand je n’étais pas employé par M. de Grandpré, chez qui j’allais régulièrement dîner tous les dimanches.

« La Saint Martin approchait ; c’était le temps où les censitaires payaient leurs rentes au seigneur. Je m’étais fait faire des habits neufs, beaucoup trop riches pour les moyens de mon père, qui prenait sur son nécessaire pour satisfaire ma vanité.

« Dans le temps des rentes, je restais ordinairement une quinzaine de jours chez M. de Grandpré.