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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Grandeur et décadence.


Environ trois mois après les événements que nous venons de raconter, Marcel Legay faillit être arrêté au cours d’un cambriolage retentissant. Notre gentilhomme avait enlevé le coffre-fort d’un banquier et son contenu. Une enquête fut ouverte et la police découvrit que l’auteur du vol n’était autre que Marcel Legay qui avait opéré sous le déguisement du comte Louis de Beaulieu. On apprit ainsi que le faux comte occupait un magnifique hôtel boulevard St-Germain. Une légion de créanciers sortit de terre comme par enchantement. Les meubles et objets d’art furent vendus aux enchères, précisément dans la salle où le lecteur a assisté, au début de ce récit, à l’adjudication d’une statuette grossière.

Or, il se fit tout naturellement que parmi les objets d’art du fameux comte de Beaulieu, le commissairc-priseur retrouva le fameux pâtre qu’il avait vendu antérieurement 62 000 fr.

L’aimable officier public reconnaissant cette précieuse statuette l’entoura de soins tout spéciaux et la fit exposer à la place d’honneur.

« Cette fois, se disait-il, elle se vendra le double, ce doit être un chef-d’œuvre inconnu, dû au ciseau d’un grand primitif. »

Et quand le tour du pâtre arriva, il cria d’une voix de stentor :

— Un pâtre d’une beauté inestimable ! Valeur minimum : 62 000 francs. Personne ne dit mieux ?

Un silence solennel suivit ces paroles.

— Voyons, mesdames et messieurs, 62 000 fr. ! c’est pour rien, faites vos prix.

Nouveau silence. Le commissaire descendit à 61 000 francs, à 60 000, à 30 000, à 10 000 et enfin à 1 franc ! À un malheureux franc… C’était dérisoire et incompréhensible. Et personne n’en voulait du pâtre !…

— Un franc ! s’écriait le commissaire désespéré, anéanti, foudroyé, fou d’étonnement. Un franc ! Personne ne dit mieux… plus mal, veux-je dire.



TROISIÈME PARTIE

L’assassin invisible.

Un mariage inexplicable.


— Mordious !

— Qu’avez-vous, mon ami ?

— Voilà qui est formidable.

— Quoi donc, mon cher ?

— Mariage inattendu, inexplicable, extraordinaire !

— De grâce ! expliquez-vous. De quel mariage parlez-vous ?

— Mais, par les cornes du diable ! de mon mariage…

— Vous allez vous marier ?…

— Apparemment… oui, il paraît que je me marie aujourd’hui à 11 heures.

— Et il est midi dix ! Que signifie cette énigme ? Vous ne m’aviez rien dit…

— Qu’aurais-pu vous dire, mon cher comte ? J’ignorais moi-même que je dusse me marier aujourd’hui, je l’ignorais tantôt encore, lorsque, par hasard, j’ai appris cette pénible nouvelle en jetant machinalement les yeux sur ce journal ouvert devant moi… Lisez plutôt…

Ce dialogue était échangé entre deux jeunes hommes de vingt-cinq ans environ dont l’accent sonore décelait l’origine gasconne. L’un était le chevalier d’Arsac, l’autre le comte de Beaulieu. Ils étaient commodément installés dans un des riches restaurants du boulevard des Italiens, où ils attendaient le déjeuner qu’ils venaient de commander, lorsque les yeux