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MA PATRIE


Me voyant marcher de l’avant,
Des gens sont venus, quatre à quatre,
Me dire : « On te voit trop souvent
Contre des montagnes te battre ! »
— Et moi j’ai répondu : « Voilà
Pourquoi je charge avec furie :
Derrière ces montagnes-là
Est prisonnière ma Patrie ! »

D’autres m’ont dit : « Ferme les yeux !
Ton existence sera belle :
Fortune, honneurs à qui mieux mieux
Vers toi viendront en ribambelle ! »
— J’ai répondu : « Gardez pour vous
Les bravos de la galerie…
Moi, j’estime qu’il est plus doux
De ne songer qu’à la Patrie ! »

On m’a dit : « On sent dans tes vers
La pitié des nobles détresses ;
N’as-tu pas pour tout l’univers
Mêmes bontés, mêmes tendresses ? »
— Alors j’ai dit : « En vérité,
Ai-je l’air d’avoir l’âme aigrie ?
J’aime, certes, l’Humanité…
Mais j’aime, d’abord, ma Patrie ! »

Des poètes m’ont dit : « Jamais
Près de nous ne prendras-tu place ?
Viens donc rêver sur nos sommets :
Ne vois-tu donc plus le Parnasse ? »
— J’ai répondu : « Bien au-dessus
Je vois le Calvaire où, meurtrie,
Ainsi qu’on a cloué Jésus
On voudrait clouer ma Patrie ! »