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UNE SOIRÉE À STRASBOURG


C’est encore un récit de la dernière guerre
Que ma mère souvent me racontait naguère :

Bien entendu, la scène est toujours à Strasbourg
Près la place Kléber, en un calme faubourg
Où le bruit cadencé d’une prudente ronde
Trouble seul le silence. — Au loin, le canon gronde
Si bas que l’on dirait un long bourdonnement.
C’est quinze jours après l’affreux bombardement.
Dans la ville, en vainqueur, l’Allemagne se vautre ;
Partout son drapeau noir a remplacé le nôtre ;
Le sol, malgré la pluie, est à peine lavé
De tout le sang français qui rougit le pavé.
Ne voulant pas survivre à tant de flétrissures
Des blessés refusaient de soigner leurs blessures !…
Les maisons qui fumaient depuis quinze longs jours,
La rue où des éclats d’obus traînaient toujours,
Jusqu’au ciel assombri qui pleurait sur l’Alsace,
Tout nous soufflait au cœur une haine vivace…
Or, ceux qui nous avaient vaincus, mais non soumis,
Finissaient par se croire un peu de nos amis…
Ils allaient par la ville en frisant leur moustache,
Laissant traîner leur sabre avec un air bravache,